Akela
Akela’llure cet esquif… Premier contact avec ce canari géant uni-ailiste, posé là, sur sa marre brumeuse. Pas à dire, il est jaune, il est bigrement jaune cet oiseau. Il est tellement jaune que les lumières monochromes de son port d’attache ont peine à le laisser se fondre dans la masse noir et blanche des coques adjacentes. C’est drôle comme la couleur peut donner vie à une masse inerte, qui ne donne qu’une envie : prendre le large.
Comme nous. Comme lui, et lui aussi. Lui c’est Yann, profession : humain. Hobby : skipper. Ou l’inverse, aujourd’hui je ne sais plus trop… Lui c’est Christophe, premier de boutée (il parait que le mot « corde » est banni du langage maritime…), sourire sur pattes, longues, cela dit en passant…Et nous. Une chouette, Clo, piaf nocturne hérétique qui a su s’adapter à la lumière du jour pour mieux voir la beauté de la vie, et moi, Xabi, l’autre du Nous.
« Salut, bienvenue, on va poser les sacs à bord et on va croquer ça vous dit ? »
Voilà, ça commence souvent comme ça, un sourire, un échange, un p’tit verre, une boustifaille. Et dès ce moment tu sais que quelque chose est entrain de se passer. Tu sais pas encore quoi, mais y’a un truc qui te donne une bouffée de paix, et en même temps une overdose d’adrénaline. Tu sais pas vraiment où tu vas, ni avec qui, mais tu sais que ce grand canari, c’est ta maison, c’est chez toi. Et ça, déjà, c’est beaucoup. Une main tendue, et pas seulement pour t’aider à enjamber la filière, non, une main tendu vers l’inconnu que tu es venu vivre, une main sympathique.
« Salut Yann ».
Ton bateau, votre bateau… Ca fait quelques jours que nous naviguons dessus, dedans, avec, contre, pour et pourquoi ? Parce que c’est bon… Parce qu’il y a des sensations qui naissent, d’autres qui ressurgissent, et que toutes sont nouvelles, parce qu’on se sent comme un enfant sur un bateau. Expérience ou non, j’sais pas pour vous, mais moi je ne sais rien. Par peur de « mal faire » peut-être, et aussi parce qu’on se sent beaucoup plus responsables sur un voilier que nulle part ailleurs. Parce qu’un équipage, c’est un peu comme une famille, on ne le choisit pas, mais on est ensemble. Liés, unis, pour le meilleur et le mieux que meilleur. Et quand ça fonctionne comme ça marche là, ben c’est le bonheur, dans sa nudité la plus totale.
Pas facile de résumer ces quelques jours de navigation, d’apprentissage du navire, de l’Autre, de Soi, de vie. Une semaine déjà que nous avons quitté Morlaix, après avoir observé nonchalamment la remontée d’un cadavre sur le quai d’en face… et pourtant le temps s’est dilaté dans un sens (on a l’impression d’être partis depuis des mois) et contracté de l’autre (la sensation étrange de n’être partis qu’hier …) !
Escale à Brest où nous ont rejoint Brigitte, Yannick, Thierry, et Joseph.
Direction le large. Cap au chaud. Route sud. Droit devant.
Golfe de Gascogne au près serré, deux jours pour atteindre un point que nous ne visions pas, caprices de la météo oblige. Mais peu importe, la cuisine ne gîte jamais, elle. Alors on se réchauffe comme il se doit : une bonite fraîchement pêchée, marinée et avalée, un essai de cuisson de thon à la thaïlandaise, durement suivi par un bœuf bourguignon, et délicatement apaisée par une poilée de légumes et savamment occluse par un pain à la farine de blé noir du plus grand effet !
Première escale hispanophone à Ribadeo, porte d’entrée de la Galice. Histoire d’attendre le vent qui nous mènera au Cap Finisterre, au portant si possible… Petite virée en ville, retour au castellano, petite bouffe locale (sublime le pulpo al ajillo !), et qq coups avec Yann, Jo et Christophe au bistrot du coin, dont le patron nous paiera sa tournée d’alcool local (liqueur de café et aguardiente… ça fracasse !). Cointreau n’en faut… On se rentre limite, limite… Hein Yann ?! Et Christophe de nous faire la descente de la rue pavée du port en glissade de plus de 5 mètres sur ses chaussures Salomon ! Ça laisse des traces les « chasseurs d’lapin » on dirait…
Départ le lendemain pour être à Lisbonne à temps pour le départ de Yannick, qui doit prendre son avion dimanche… Alors on lance le pari du « Kankonarrive » et évidemment, y’a baleine sous gravillon : on déchire le haut de la GV sur un bon mètre, voile coupée en deux, c’est l’avarie, il faut s’arrêter pour réparer. Du coup tout le monde a perdu son pari et Yannick doit nous quitter précipitamment à Bayona, où nous passons donc une nuit, le temps que le voilier fasse son taf. En passant, record de vitesse à battre : 17,7 nœuds sous Grand Voile et Génois, au grand largue avec 27 nœuds de vent, sur un long surf le long des cotes de Galice ! Grisant ! (Photo à l’appui, le pied !). Bref, Bayona, ville médiévale, ruelles où tout parait penché (on n’est pas trop dépaysés du coup..) et où il semble faire vraiment bon vivre. Dommage, je serai bien resté un peu plus longtemps par là, mais quitte à rester quelque part, autant qu’il fasse chaud ! Alors direction le sud, et 300 milles de portant jusqu’à Lisbonne : une promenade. Sous grand spi, on marche entre 8 et 12 nœuds, et puisque la mer est calme, on en profite pour se faire une nuit sous spi, allez ! Tout le monde se bat presque pour barrer ! Allez, qu’à cela ne tienne, c’est open-barre aujourd’hui !
Arrivée petit matin sur Lisbonne, on entre dans l’estuaire au moment où le soleil point le bout du nez. Superbes lumières, la tour de Belém, le pont qui enjambe le Tage, le port de commerce, tout est magnifiquement éclairé. Emouvant de remettre les pieds exactement de là où je suis parti il y a deux ans, à quelques pontons près. Très émouvant.
A peine partis depuis 10 jours… Et tant appris déjà. Manœuvres dirigées par notre chef d’orchestre de skipper, avec calme, pédagogie, méthode et efficacité. Bon certes on est loin d’avoir le bateau en main mais on a déjà une bonne approche des différentes possibilités qu’il offre. Empannage sous spi asymétrique, sous spi symétrique avec écoutes en double, technique subtile de barre au portant, prise en main du radar, de la navigation informatisée (vivement le sextant…), de la sécurité à bord (tout le monde sous harnais la nuit ), de la VHF et de la BLU, délicat exercice de l’apéro au près serré, cuisine à toutes les allures et à toutes les sauces, et pêche bien évidemment (soldée à ce jour par un thon germon et une toute petite dorade).
Bref : Heureux ! Allez… Akela’tout d’suite !